Retour à la réalité pour Google ?

Si l’on devait résumer le succès de Google, chose toujours délicate, on pourrait dire que la société a réussi là où les autres ont échoué : dans la monétisation de l’audience. Une réussite si spectaculaire que Google ne se limite pas à monétiser sa propre audience, mais aussi celles de milliers d’autres sites web, grâce à son système Adsense. Cette capacité à transformer des pages vues en espèces sonnantes et trébuchantes a permis à Google de générer des revenus très rapidement, et a lui a fourni le cash nécessaire à la réalisation d’une audacieuse stratégie de croissance externe.

Google est aujourd’hui un prédateur du web, capable de racheter et probablement la mieux placée pour transformer des audiences en revenus, même lorsque celles ci sont de qualité très approximatives, à l’image du trafic de sites comme MySpace ou YouTube. C’est un peu comme si un grand groupe média pouvait racheter des magazines déficitaires et les redresser commercialement grâce à une équipe commerciale hors pair. Depuis plusieurs années, Google est devenu un point de passage quasi obligé de l’Internet. Une société leader dans la recherche, mais qui s’est beaucoup diversifiée : fournisseur d’e-mails gratuits, logiciels de messagerie instantanée, calendrier online, et j’en passe. D’ailleurs, les ingénieurs de Google sont encouragés à investir 20% de leurs temps dans des projets qui les passionnent. Génial, non ?

Mais cela ne vas pas durer.

Tout d’abord, Google le reconnaît : elle n’a pas assez concentré ses efforts sur son moteur de recherche et s’est dispersée dans le lancement de nouveaux services :

"Google admitted this year that its internal audits discovered that the company had been spending too much time on new services to the detriment of its core search engine." comme le précise ce papier du Los Angeles Times.

De plus, selon HitWise, ces différents services ne génèrent que peu de visites par rapport à la recherche. Ils sont également loin d’être de s’être imposés comme des leaders dans leurs secteurs respectifs  : 2,5% de PDM pour Gmail – loin derrière Yahoo Mail!, 2% pour Google Maps, loin derrière MapQuest, etc.

Retour au pragmatisme

D’après Eric Schmidt, des études ont montré que les utilisateurs ne peuvent pas associer plus d’une demi-douzaine de services à Google (plus généralement à n’importe quelle marque). Que faire des dizaines d’autres services créés?

Google arrive aujourd’hui à maturité. Cela ne signifie pas que sa croissance va s’interrompre, mais la société arrivera difficilement à maintenir un degré d’innovation aussi élevé d’ici 2010, horizon auquel 10% des investissements marketing mondiaux devraient être consacrés à Internet (source: présentation investisseurs Google).

Plusieurs raisons à cela :

  • les attentes des actionnaires sont trop hautes, spécialement en terme de croissance, et le top-management va devoir de plus en plus se justifier sur ses choix, spécialement lorsque la croissance des revenus commencera à ralentir.
  • la concurrence va s’accentuer sur la recherche, notamment dans des marchés à forte croissance. En Russie par exemple, moins de 25% de la population est connectée à Internet et Yandex est toujours le moteur de recherche leader et incontesté. En Inde, Sequoia Capital (qui était un des principaux VC de Google notamment) a annoncé avoir investi dans un nouveau moteur de recherche prometteur dénommé GuruJi. Google va devoir trouver des relais de croissance dans des marchés en plein boom, et tenter de déloger des leaders qui agissent sur leurs marchés primaires et qui bénéficient parfois même de barrières à l’entrée liées – par exemple – à une forte régulation étatique (je ne pense pas qu’à la Chine).
  • Enfin, Google devra également anticiper l’arrivée de nouveaux entrants : par exemple dans le domaine de la recherche pour les téléphones mobiles, dans les contenus videos, etc.

Pensez-vous que ces paris peuvent être tenus en encourageant les ingénieurs à consacrer 20% de leurs temps par exemple à la conception de calendriers de Noël en Ajax qui s’intègrent dans Gmail ? Let’s face it.

Google va devoir être plus aggressive commercialement. Lorsque les prémices d’un ralentissement de croissance se feront sentir, l’entreprise devra être capable d’annoncer des lancements de produits à même de générer des revenus dans d’autres segments de marché. Et cela n’est pas gagné. Prenez par exemple le domaine de la recherche en entreprise que Google convoite : il lui sera difficile de percer sans un réseau de distribution. Prenons encore le domaine du micro-paiement, une activité en plein boom et ultra-rentable: que fait concrètement Google pour s’y développer?

Google est une superbe success story et une très belle entreprise, mais l’essentiel de sa valeur est liée sa capacité à créer de la valeur publicitaire : pour les annonceurs et les éditeurs (professionels ou privés d’ailleurs). Si le marché de la pub online lui paraît destiné, on ne voit pas encore comment Google va réussir sa stratégie de diversification. La société de Moutain View aura-t-elle la capacité de relever d’autres challenges que celui de la recherche ?

C’est amusant, cela me fait penser à une autre entreprise qui avait réussi à s’installer durablement dans un marché en plein boom, à l’époque celui du PC, en ayant toute les peines du monde à se diversifier par la suite. Vous voyez de qui je veux parler ?

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One Response to Retour à la réalité pour Google ?

  1. raphael says:

    Vous êtes un peu syncro avec Pascal. Cf son article sur "les disrupteurs disruptés" qui voit plus de problèmes venir pour Google à garder sa position de leader dans la publicité que entamer une plus grande diversification de services. Beau billet.