Comment les marques de luxe reprennent le contrôle de leurs ventes sur Internet ?

Alors qu’une réglementation européenne entrée en vigueur le 1er juin fixe les règles de la distribution online pour les produits de luxe, le quotidien Le Temps publie ce jour une tribune offerte à Marc-Olivier Peyer d’IC-Agency afin d’apporter un premier éclairage.

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Forum: Commerce en ligne – lundi 21 juin 2010
Marc-Olivier Peyer

Le secteur a longtemps été confronté à une distribution en ligne bas de gamme mettant en péril son image. Appuyé par une directive européenne plus favorable, le luxe tente maintenant de gérer ses propres circuits d’«e-commerce»

Longtemps hésitantes à franchir le cap du numérique, les marques de luxe ont désormais intégré Internet dans leurs stratégies de communication et de vente: elles lancent des campagnes publicitaires en ligne, achètent des mots-clés sur Google, créent des mini-sites événementiels, développent des applications iPhone, explorent les possibilités offertes par la réalité augmentée, interagissent avec leurs dizaines de milliers de fans sur Facebook et ouvrent des boutiques sur le Web. De Moscou à Tokyo, en passant par Shanghai, New York ou Paris, les amateurs de produits d’exception sont prêts à exercer leur pouvoir d’achat sur Internet. Un marché existe et les chiffres de vente en ligne s’affolent. Les sacs Vuitton s’achètent désormais comme le dernier album de Britney Spears: d’un simple clic.

Pourtant, des interrogations existentielles demeurent dans l’esprit de certains dirigeants: ne dénature-t-on pas les codes de l’industrie en cherchant à les réinventer dans un univers dématérialisé, où l’accueil n’est ni exclusif ni personnalisé, où le cuir n’a pas d’odeur, où les produits ne peuvent pas être touchés ni essayés avant d’être achetés?

Il suffit de taper le nom d’une marque de luxe sur Google pour saisir l’ampleur du défi représenté par le Web: contrefaçon, accroches publicitaires bas de gamme, produits disponibles à des prix bradés… Nous sommes à des années-lumière de l’univers de prestige que les marques ont mis des années à construire.

En 2009, plus de cinq cents millions de requêtes liées à vingt-cinq marques horlogères ont été saisies par les internautes dans les moteurs de recherche des dix marchés clés d’exportation de l’industrie horlogère suisse (source : WorldWatchReport 2010). Combien d’entre eux, à la recherche de produits d’exception, atterrissent sur des sites bas de gamme?

Sur Internet, les marques de luxe sont confrontées à un environnement dont elles doivent apprendre à maîtriser le fonctionnement, afin de se positionner face à de nouveaux types d’acteurs. Par exemple, une marque ne met-elle pas en péril son image et sa crédibilité en laissant ses produits apparaître à prix cassés sur n’importe quel site, en tolérant que certains distributeurs écoulent leur stock via un site d’enchères tel que Ebay?

Le 20 avril dernier, la Commission européenne a implicitement reconnu le caractère particulier de la vente de produits de luxe lors de l’adoption de nouvelles règles de concurrence relatives à la distribution de biens et services. Fruit d’un intense lobbying de l’industrie du luxe, cette réglementation autorise les entreprises à ne distribuer leurs produits qu’à des détaillants qui disposent de points de vente physiques, où les consommateurs peuvent toucher et essayer les produits.

La possibilité d’imposer une telle condition à leurs revendeurs devrait permettre aux marques de luxe de mieux maîtriser la vente de leurs produits par Internet. Le règlement adopté par la Commission européenne – qui entrera en vigueur le 1er juin 2010 et s’appliquera pour les douze prochaines années – ne leur laisse néanmoins pas une liberté totale dans l’organisation de leur réseau de distribution. Il consacre la vente en ligne et place Internet sur un pied d’égalité avec les autres canaux de distribution. Ainsi, un fournisseur n’est pas autorisé à limiter les quantités vendues par Internet ni à pratiquer des prix plus élevés pour les produits destinés à la vente en ligne. Dès qu’il a intégré un distributeur, le fournisseur ne peut l’empêcher de vendre en ligne; tout au plus peut-il exiger que son site réponde à des normes préétablies.

Les restrictions géographiques sont également réglementées: un fournisseur ne peut pas imposer à ses distributeurs de «re-router» automatiquement ses clients en ligne vers le site d’un autre distributeur; ou de refuser une transaction si les données de la carte de crédit du client montrent une adresse située en dehors du secteur géographique affecté à ce distributeur. En d’autres termes, le distributeur reste libre de vendre aux clients qui le contactent de leur propre initiative (vente passive). Il peut néanmoins interdire le démarchage (vente active) des groupes de clients attribués à un autre distributeur.

Cette réglementation entre en vigueur alors que de plus en plus de marques de luxe lancent leur propre canal de «e-commerce», à l’instar des horlogers Rado, Longines, Bell & Ross, Cartier ou encore Hermès. Plus récemment, le groupe Richemont a racheté Net-à-porter, un site britannique de vente de produits de luxe, qui a généré un chiffre d’affaires de 122 millions de dollars l’an dernier. D’autres marques horlogères vont faire de même.

Le nouveau contexte réglementaire constitue un enjeu stratégique pour les marques qui vont devoir gérer la numérisation d’une partie de leur réseau de distribution sans phagocyter l’existant. Elles devront garantir la rentabilité de leurs propres investissements dans le commerce en ligne. Et adapter leurs accords de distribution, afin d’y intégrer les conditions de vente sur Internet par les intermédiaires. Une fois les contrats de distribution négociés, il s’agira d’encadrer les revendeurs et les détaillants afin de s’assurer qu’ils offrent une expérience d’achat et un service après-vente irréprochables.

Les marques de luxe disposent des moyens nécessaires pour négocier avec succès le virage du commerce en ligne et créer des expériences d’achat qui englobent le «on» et le «off line». Il leur appartient de créer une chaîne de valeur entre elles et le consommateur final et d’offrir à ce dernier le luxe d’interagir avec l’univers de la marque.

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